Professeur Fichter, commençons par une question directe : la qualité de la maintenance a-t-elle un impact sur le succès de la transition énergétique ?
Oui, sans aucun doute. Prenons l’exemple d’un parc éolien, dont la durée de vie totale se situe entre 30 et 35 ans – depuis la phase de conception jusqu’au démantèlement ou au repowering, en passant par la planification, la construction et l’exploitation. Durant cette période, les éoliennes sont en service pendant environ 20 à 25 ans. Cela signifie que plus de 70 % du cycle de vie d’un projet sont consacrés à l’exploitation et à la maintenance des éoliennes. En effet, seul un parc en parfait état de fonctionnement peut produire et injecter les volumes d’électricité pour lesquels les investisseurs ont misé leur capital. Un service de qualité, garantissant une disponibilité élevée des éoliennes, est donc essentiel pour maximiser la production électrique, condition sine qua non pour assurer la rentabilité d’un parc éolien. Différents concepts de service existent pour répondre à cet enjeu. Il sera passionnant de voir quelle direction prendra l’avenir dans ce domaine.
Pourquoi cette relation évidente attire-t-elle aussi peu l’attention du public ?
C’est avant tout une question de perception. Alors que les éoliennes dominent le paysage et captent l’attention, le travail des techniciens, lui, reste pratiquement invisible. Lorsqu’ils interviennent, on ne les voit pas. Il en va de même pour de nombreuses autres activités secondaires essentielles dans le secteur éolien, qui passent inaperçues, mais sont pourtant cruciales pour son bon fonctionnement : l’installation de câbles souterrains, la construction de fondations ou encore la mise en place de sous-stations électriques. Sans ces tâches, comme la maintenance, les éoliennes ne pourraient tout simplement pas injecter d’électricité dans le réseau. Pourtant, elles restent en coulisses, à la fois invisibles et bien moins spectaculaires que les éoliennes elles-mêmes.
Quels défis le secteur de la maintenance a-t-il dû relever jusqu’à présent pour répondre à son rôle central ?
Selon moi, le principal défi réside dans la croissance rapide du secteur. En l’espace de quelques années seulement, la diversité des types d’éoliennes a explosé, obligeant les entreprises de maintenance à s’adapter continuellement à une gamme de produits en constante évolution. Elles doivent intégrer rapidement ces nouveaux modèles dans leurs portefeuilles, tout en acquérant le savoir-faire et les compétences nécessaires. Cela concerne en particulier la gestion des pièces de rechange et des systèmes de commande. Aujourd’hui, un marché des pièces de rechange a vu le jour. Deutsche Windtechnik, par exemple, développe et produit elle-même des composants, y compris l’électronique de puissance, ce qui est une avancée remarquable. Cependant, même pour les fabricants d’éoliennes, il n’est pas toujours simple de maintenir une gamme de produits cohérente et une pénétration efficace du marché. L’accès restreint aux systèmes de commande des éoliennes demeure un sujet de préoccupation majeur pour les entreprises de maintenance. Si elles avaient un accès total à ces systèmes, elles pourraient proposer aux exploitants des solutions optimisées, voire alternatives, augmentant ainsi la flexibilité et l’efficacité des éoliennes. D’autres défis importants des dernières années incluent la gestion des prix et la flexibilité des contrats de disponibilité, l’expansion des réseaux de service sur l’ensemble du territoire, ainsi que la rapidité d’intervention. Il faut également mentionner la conquête de nouveaux marchés et la mise en place de stratégies de service adaptées. Enfin, le développement de l’éolien offshore représente un tout nouveau domaine à explorer et maîtriser.
Les prestataires de services indépendants ont-ils transformé le marché de la maintenance ?
L’apport essentiel des prestataires de services indépendants réside dans le fait que, sans eux, il n’y aurait tout simplement pas de marché ! L’ouverture du marché a été cruciale pour offrir aux opérateurs des alternatives. Si la maintenance était restée exclusivement entre les mains des fabricants, nous serions confrontés aujourd’hui à un marché dominé par quelques fabricants en situation de monopole sur leurs propres modèles d’éoliennes. Les prestataires de services indépendants, en proposant des offres couvrant l’ensemble des types d’éoliennes, ont créé une concurrence bénéfique pour les exploitants, avec à la clé des réductions de coûts. Mais leur rôle va au-delà de la simple compétitivité. Ils contribuent aussi à la diversification des services, ce qui est essentiel en cas de défaillance d’un acteur majeur. Les exemples de la faillite de Senvion ou de l’arrêt des opérations du groupe Bard illustrent bien cette réalité. Sans des entreprises comme Deutsche Windtechnik, il aurait été difficile de compenser les besoins de maintenance, notamment pour des parcs offshore comme celui de Nordergründe, équipé de turbines Senvion.
Comment le secteur de la maintenance devra-t-il se positionner pour suivre le rythme du développement de l’énergie éolienne à l’avenir ?
La question cruciale demeure celle du personnel qualifié. Comme j’ai pu le constater lors de ma dernière visite sur le terrain, Deutsche Windtechnik affiche d’excellents résultats en matière de formation. Cependant, la situation se complique de plus en plus pour les ingénieurs, et ce phénomène est observé dans toute l’Allemagne. Les entreprises ne doivent pas se méprendre en pensant qu’il suffit de promouvoir leurs offres d’emploi dans les universités ou les centres de formation. La conquête des talents devrait débuter dès l’école. En effet, les jeunes ne réalisent pas toujours que les matières qu’ils étudient à l’école doivent être mises en combinaison avec d’autres pour être réellement pertinentes dans leur vie professionnelle. Il est donc essentiel d’encourager l’apprentissage interdisciplinaire dès le plus jeune âge. Pour assurer durablement un personnel qualifié, les entreprises devront également s’orienter vers le recrutement de talents étrangers. L’Allemagne est en pleine voie d’internationalisation, comme nous pouvons le constater dans nos cours où l’anglais devient de plus en plus prédominant. Les entreprises doivent donc s’adapter et intégrer davantage l’anglais dans leur quotidien professionnel pour attirer une main-d’œuvre qualifiée. Un autre grand enjeu réside dans l’utilisation intelligente des données, notamment grâce à la connexion intelligente avec les équipements. Un des objectifs majeurs consiste à simuler numériquement des situations problématiques dès qu’un message d’erreur est détecté, avant même toute intervention de service. Si l’analyse révèle qu’un composant doit être remplacé, l’équipe de maintenance, équipée du bon matériel, pourra se rendre directement sur site et n’intervenir qu’une seule fois. L’interconnexion intelligente des données a également été au cœur de notre projet de recherche « Good Practice Betrieb Windenergie - GoodWind », mené par l’Université de Bremerhaven en collaboration avec Deutsche Windtechnik, wpd windmanager et Nordwest Assekuranz entre 2017 et 2020. Ce projet a démontré qu’une connexion numérique étroite entre la maintenance, la gestion d’exploitation et l’assurance génère des synergies significatives. Les dommages peuvent être détectés plus tôt, ce qui permet non seulement de réduire les coûts, mais aussi d’économiser des émissions de CO2. En effet, environ 60 à 70 % des coûts d’exploitation sont liés à la maintenance. Si toutes les parties prenantes identifient rapidement la présence d’un dommage, les frais de maintenance peuvent être considérablement réduits.
Quelles tendances et évolutions vont se renforcer dans le secteur de la maintenance ?
Certaines tendances émergentes méritent d’être esquissées ici. Tout d’abord, les fournisseurs de maintenance vont de plus en plus développer leur propre expertise. Ils deviendront ainsi à la fois des fournisseurs de produits et de main-d’œuvre, tandis que les opérateurs énergétiques prendront en charge l’organisation des interventions. Cela représente un défi majeur. À l’avenir, un nouveau marché pourrait également émerger pour la vente de « produits en fin de vie », c’est-à-dire des composants que nous devrons reproduire en raison de l’arrêt de leur fabrication, notamment dans le domaine de l’électronique de puissance. L’internationalisation continuera de s’accélérer, comme en témoignent les développements observés en Chine, sur d’autres marchés asiatiques et sur le marché américain. La Chine construit en un an autant d’éoliennes que nous en construisons en 20 ans, et ces projets sont souvent de plus grande envergure, ce qui engendre une culture de maintenance différente. Il est donc impératif d’évaluer avec précision les risques associés. Une autre tendance concerne les contrats de maintenance : jusqu’à présent, les parcs éoliens ont principalement fonctionné avec des contrats de maintenance de base ou complète. À l’avenir, il est envisageable que ces contrats soient davantage associés à des assurances, offrant ainsi des avantages financiers supplémentaires. Le marché de la seconde vie gagnera également en importance, notamment pour la remise en état des composants. De grandes plateformes existent déjà, mais les entreprises de maintenance pourraient s’y engager davantage, ce qui signifierait que des composants comme les réducteurs ou l’électronique de puissance seraient retravaillés non seulement pour satisfaire à leurs propres besoins, mais aussi à ceux d’autres entreprises. Ce développement s’inscrit également dans une dynamique de durabilité. Dans le cadre du projet de recherche « GoodWind », il a été démontré qu’un endommagement des roulements détecté précocement et suivi d’un remplacement rapide réduit considérablement les émissions de CO2, par rapport à une intervention tardive qui pourrait nécessiter le remplacement complet du réducteur. De même, une éolienne reste à l’arrêt plus longtemps en cas de défaillance d’un engrenage, ce qui engendre une augmentation des émissions de CO2, car des centrales de remplacement doivent alors compenser cette perte de production, notamment les centrales à charbon. Il est donc essentiel de sensibiliser les techniciens de maintenance à ces interactions et à leur impact environnemental.
Professeur Fichter, merci beaucoup pour ces perspectives passionnantes !
*Source : https://www.hs-bremerhaven.de/de/forschung/projekte/goodwind